mardi 8 juin 2010

Catalogue de l'exposition à la School Gallery comportant un texte de Julie Estève.

©PASCAL BAUER COURTESY SCHOOL GALLERY PARIS


« La vie n’a aucune espèce d’existence choisie, consentie, déterminée. Elle n’est qu’une série d’appétits et de forces adverses, de petites contradictions qui aboutissent ou avortent suivant les circonstances d’un hasard odieux. » Antonin Artaud.


Il marche, entièrement nu. Inlassablement, il accomplit le même trajet. Sur des rails, il fait des allers-retours, des vas et viens. Inlassablement. Dépouillé de toute conscience, il avance, en vain et en cadence, le regard fixe, le regard droit, comme un bon soldat, gardien de sa servitude. En automate, la machine le rassure, le guide, détermine son trajet, son destin. Pourtant, il n’est pas seul. On imagine, derrière, devant, à ses côté, une armée, qui comme lui, s’acharne, pas à pas, à ne pas savoir qui lui dicte sa route et sa pensée. « Le marcheur », 2009.

Pascal Bauer réalise des installations dans lesquelles des écrans vidéo dépendent d’un appareillage souverain, d’une mécanique complexe qui semble infaillible. A l’intérieur, des hommes en mouvement sont plongés dans un espace autoritaire, soumis au dangereux refrain d’une tâche à accomplir, à la pernicieuse rengaine d’une attitude à reproduire. Sans rémission, ni recours possible. Si l’un des personnages, docile, se fracasse le crâne en boucle sur une planche en bois (« Le cogneur », 2008), un autre, à quatre pattes, rampe tel un fauve qui s’est habitué à sa cage (« Le mur », 2009). Suspendu à une croix et dénué de bras, aveuglément un homme gesticule, s’agite, s’épuise. Dans un équilibre précaire, il est au bord de la chute, du vide. (« L’élu », 2008). Tous contrôlés par un ordre supérieur, petits esclaves, simples pantins, ils obéissent au doigt, à l’œil.

Il y a, dans le travail de Pascal Bauer, intrinsèquement lié aux questions philosophiques contemporaines, quelque chose de la pensée de Peter Sloterdijk. L’humanité est elle devenue « un parc humain » et les hommes « des animaux sous influence » ? Car à travers les œuvres de l’artiste, s’écrivent les oppressions, les formes de domestication, d’aliénation, de dressage de l’homme par l’homme. Si la violence se lit dans ces scènes animées et « machinisées », si le spectacle montre l’humiliation et l’avilissement d’hommes réduits en conscience et en dignité, Bauer utilise et emploie aussi l’absurde comme une arme. Peut être pour dire les trahisons et les déceptions d’un certain humanisme. Si son vocabulaire plastique, sévère, hiérarchique est en rupture avec l’esprit de conciliation, c’est sans nul doute pour soulever les consciences endormies.

"A quel point un individu peut-il ou a-t-il le droit de développer une autonomie d’être dans la société qui l’a enfantée ? Quelle est la pertinence du concept de libre arbitre ? Comment un individu peut-il s’exprimer selon une doctrine communautaire, extrémiste, sclérosante, vis-à-vis d’une autre communauté à laquelle il aurait pu appartenir selon une autre disposition du hasard ?" s’interroge l’artiste


Julie Estève